L'Épreuve de l'Horizontale (1/2)

19 6. > 5 9. 2021.


 Marion Delage

 Stéphane Étroit

 Bernard Gilbert

 Isabelle Le Morvan

 Adam Mockridge

 Lionel Redon

 Étienne Rivière

Les yeux vers un lointain.

L'horizon, ce lieu où le ciel et la terre se touchent…

Épreuve de l'horizontale, celle de la beauté des paysages, celle des corps allongés, dans la chute, dans la mort ou dans le désir.

L'horizontale comme histoire du dessin et de la table où l'on dépose, où l'on dresse, où l'on opère.

 

L'horizon comme projet, comme dépassement.

Et puis, il y a l'inverse.

 

 

L’Épreuve de l'Horizontale est le premier temps d'une exposition en deux volets.



 Marion Delage

Contretemps

2020

Dispositif sonore

Se redresser d'abord, tâtonner, s'élancer, avancer : elle s’impose, inattendue.

Trouver son centre de gravité, trébucher, recommencer : dès lors elle devient initiatique.

Se croire insaisissable, défier l'attraction, se souvenir de la pesanteur : c'est l'accident inéluctable.

Provoquer le rire ou le drame : lorsqu’elle s’affiche théâtrale.

Rêver, laisser l'esprit vagabonder, s'oublier : dans une dérive fortuite.

Encaisser, supporter, faire face : elle ne peut être que brutale.

Se précipiter : elle est implacable.

Renoncer : elle se conclut, cruelle.

 

CHUTE

n.f.

1. Fait de tomber

2. Partie où une chose se termine, s'arrête, cesse




 Stéphane Étroit

 Les Vols

 2020

 Mine graphite sur papier Moulin du Roy,

vitrine, ventilateur, alimentation électrique

 Trois dessins d'oiseaux morts placés en suspension

 41,5x41,5 cm chaque dessin

 Dimensions variables

Vue d'ensemble et détails

Tirées du mot latin imago qui désignait les masques mortuaires, les images se construisent initialement sur les dernières présences des maintenant sans vie, sur des absences imminentes des corps morts, à la toute fin, sur l'idée d'un rempart à l'absence, accompagnant celui qui reste quand l'autre part, prolongeant un semblant du vivant chez le mort pour le vivant qui se meurt. Elles sont intrinsèquement un devenir, un pressenti du manque à venir, en étant amenées à le parer ; elles sont, en tout premier lieu, la marque de l'absence imminente, et la trace de la présence évanescente, l'enregistrement de ce moment ultime qui bascule dans le passé et qui voit se profiler le manque physique de l'autre qui nous quitte et dont on va se séparer, dont on prélève la figure, le visage, à jamais, ce que l'on nomme aussi ses traits. Ritratto désigne la peinture du portrait en italien ; retirer, garder, maintenir, retenir les traits. Ainsi, l'image ne se substitue pas au réel, c'est le réel qui fuit qui la fait advenir. L'image est un complément, une réfutation et une acceptation du définitif du départ, un deuil, une "éternisation" pourrait-on dire, un acte de conservation amené à construire un refus du fini de la condition humaine. L'image est à la fois une projection de la mort, sinon, déjà, son constat, et un maintien dans le vivant, une survivance, à l'adresse du vivant. L'image, dans son registre du souvenir, est une parade, un vestige, la résultante d'un désastre, d'une disparition, du désastre de la disparition. L'image est cette fête. Cette célébration qui cherche à donner une permanence à ce qui fuit.




 Stéphane Étroit

En Droite Ligne

 2020/2021

 Mine graphite sur papier Hahnemühle, branche morte

Quarante-quatre dessins d'oiseaux morts sur soixante-seize possibilités

 Dimensions variables

Vue d'ensemble et détails

Dans l'ordre. Des choses : une branche de châtaignier descendue, à l'horizontale, jonche le sol et traverse l'espace dans un mouvement lent ondoyant. Plus loin, à son extrémité la plus fine, un cahier, légèrement surélevé, ouvre sur le dernier souffle, l’ultime lumière.




 Stéphane Étroit

Terme

2021

 Mine graphite sur papier Moulin du Roy, branche morte

 Dimensions variables

Détail et vue d'ensemble

Une branche morte, redressée, en appui au mur, maintient de tout son poids le dessin d'un oiseau mort et dessine une trajectoire entre la chute et l'envol ; l'énoncé d'une phrase dont on ne sait si, à terme, les mots nous signalent un départ comme un commencement ou comme une fin.




 Bernard Gilbert

H-H'

2017/2020

 Pointe feutre et stylos encre métallisée sur papier

 70x100 cm chaque dessin

Vue d'ensemble et détails

 

 

 

Extraits d’une série de 12 planches d’étude, ces quatre dessins ont été conçus avec une volonté de précision documentaire. Quatre morceaux de plaques de cuivre, plus ou moins sales ou patinés, ont été agrandis 15 à 20 fois environ. Dessinées sur table horizontale, mais pensées en partie pour être accrochées verticalement, ces études ravivaient mon intérêt pour ce sujet*.

Même si je crois qu’il n’existe pas de dessins d’observation (mais uniquement des dessins de mémoire), porter un regard distancié sur ces fragments de métal, dessiner lentement, m’approcher de la ligne d’horizon, et d’un semblant de vraisemblable, m’amusait. Je m’étonnais de ma patience à rajouter de la hachure : pourquoi et jusqu’où ? Sur le fond, le coté infini et absurde de l’opération m’intéressait sans trop savoir ce qui se tramait. Sur la forme, le plaisir de voir apparaître progressivement le degré de ressemblance désiré me rassurait. Paradoxalement, l’observation aigüe m’éloignait des référents, des figures rectilignes s’installaient, quasi autonomes et de plus en plus vouées à une destination murale.

HH’ renvoie bien sûr à la ligne d’horizon de la perspective à l’Italienne. Sur cette ligne d’horizon s’appuient les quatre dessins, chacun d’entre eux pouvant pivoter au gré des dimensions du mur d’accrochage, comme de mon choix ou de celui du responsable d’exposition. Maintenir un côté de chacune des quatre figures en contact complet avec la ligne d’horizon est impératif afin que les dessins éprouvent, sous des organisations différentes, l’horizontalité requise.

 

BG. Octobre 2020

 

*J’ai souvent pensé à présenter mes dessins dans leur espace originel de réalisation : sur plan horizontal dont on ferait le tour. J’y vois une dimension plus proche du geste du dessinateur et un aspect désacralisant par rapport au mur vertical, plus généralement utilisé comme espace d’accueil de la peinture.




 Isabelle Le Morvan

Rivages

2020/2021

Mine graphite sur papier

140x204 cm

Vue d'ensemble et détails

Tirer le trait, puis le repousser.

L'étendre, au-delà de sa finalité.

Reprendre - dépasser - prévoir.

Faire le lit du dessin, d'une rive à l'autre, et voyager dans les plis pour se perdre.

Le drap convoque le drapé, jadis en linges mouillés pour en marquer les creux, en révéler les formes.

L'horizon des lignes chevauche d'autres contrées, celles des territoires, celles des paysages, celles de la mémoire.

Tomber du lit.

Tomber amoureux.

Tombe.




 Isabelle Le Morvan

Anima

2021

Branche de châtaignier, lin

270x90x47 cm

Vues d'ensemble et détails

L’âme d’une pièce, souvent en bois, est la partie centrale qui assume la résistance, sorte de cœur ou de soutien ; à l’intérieur d’un instrument de musique, elle en accentue les vibrations.

Le procédé d’embaumement dans la tradition égyptienne est un rituel de préservation de l’âme par la conservation du corps. On le vide de son sang, on l’imprègne de substances balsamiques - essence issue des peupliers en fleurs - dont le parfum éloigne l’effroyable odeur de la mort. Le lin en bandelettes vient en maintenir la forme mais aussi sacraliser la disparition par la mise à distance.

Ici, la sève a disparu comme le sang des momies. L’apparence persiste dans ce que la forme nous rappelle. La branche, arrachée par le souffle, donne encore à voir au-delà du tissu la torsion de sa pousse en quête de lumière.

Ici, le geste d’enveloppement est autant celui du sculpteur préservant le trajet d’une forme que celui nourri par les images guerrières où les arbres comme les hommes sont déchiquetés, broyés, amputés. Le tissu qui entoure convoque cette préservation, cet intouchable, ce soin accordé.




Adam Mockridge

Big Boy Pharmaceutique

2020

Plâtre teinté dans la masse, miroir

80x35x30 cm

Vues d'ensemble et détail

À l'heure où la performance sexuelle est requise à travers l'image de soi, le défi de redresser l'horizontale trouve une réponse dans la démesure d'une pilule bleue…

L'émotionnel prend le pas sur la raison, mais une demi-dose d'humour sauve de tout !




Lionel Redon

CTRL+ALT+A/Le Bord du Monde

2019/2020

Huile sur toile

Deux panneaux

400x28 cm l'ensemble

Vue d'ensemble et détails

Samuel Rowbotham (1816/1884), inventeur et auteur anglais, écrit en 1849, sous le pseudonyme Parallax, le pamphlet : Zetetic Astronomy: Earth Not a Globe (littéralement : Astronomie zététique*: la Terre n'est pas une sphère).

 

Il y décrit notre monde comme un disque plat dont les bords extérieurs sont entourés d’un immense mur de glace qui évite à l’eau de «tomber». Il tentera de prouver la platitude de notre planète par diverses expériences (canal de Bedford) qui inspireront la future Flat Earth Society fondée en 1956 par l'Anglais Samuel Shenton.

 

Si l’on change de paradigme scientifique et que l’on accepte le postulat des platistes, notre monde est une surface circulaire plane dont le centre est occupé par le pôle nord (paradoxe des mots, puisqu’il faudrait parler de pôle central). Cela signifie qu’il y a donc un bord, une limite, une fin physique à notre Terre.

 

Mon diptyque questionne cette limite et sa représentation. Par son horizontalité panoramique et ces décrochages géométriques tracés en perspective isométrique Le Bord du Monde se présente comme une réflexion sur la/les croyance(s) ésotérique(s) et/ou pseudo(s) scientifique(s) que la zététique tente d’analyser en questionnant les raisons pour lesquelles nous pensons que quelque chose est vrai ou pourrait apparaître comme tel.

 

Le Bord du Monde est un hiatus pictural. Je représente le ciel, la mer au plus près de la réalité, mais la ligne qui figure la limite de la mer, pourtant juste dans sa construction géométrique, est une ligne incohérente dans un référentiel de représentation du réel paysager traditionnel.

 

*L’étymologie du mot "zététique" vient du grec ancien zêtêtikos : qui aime chercher, qui recherche, qui enquête.

 

La zététique est communément décrite comme l’art du doute et comme l'étude rationnelle des phénomènes présentés comme paranormaux, des pseudosciences et des thérapies étranges.

 

Le terme "zététique" a été employé pour la première fois par le mathématicien François Viète pour décrire en 1591 l'art de modéliser un problème géométrique sous une forme algébrisée.

En France, il a été mis en avant en 1998 par le professeur Henri Broch, (professeur de biophysique théorique à l'Université de Nice Sophia-Antipolis et directeur du Laboratoire de zététique).

La zététique ne s'intéresse qu'aux théories scientifiquement réfutables. Elle se réclame aussi du scepticisme scientifique, et plus généralement d’une démarche de doute cartésien nécessaire en science mais aussi en philosophie.

Le biologiste Jean Rostand (1894-1977) la qualifie « d’hygiène préventive du jugement. »




 Étienne Rivière

 Pièce Rapportée

(Corps-mort, n.m. : objet pesant posé au fond de l'eau

afin que les bateaux puissent s'y amarrer)

2020

Porte-cercueil, structure métallique, corde

285x65x84 cm

Vues d'ensemble et détails

Amassé, au hasard ramassé.

Il y a ce qui fut, déposé.

Il y a ceux qui ont transporté.

Et puis ce qui reste en suspens.





© Les Ateliers de l'Esperluette – 2016>2024