Stéphane Étroit
Isabelle Le Morvan
Le nouvel accrochage en duo des Ateliers de L’Esperluette met en présence de façon inédite des œuvres revisitées ou réalisées pour certaines il y a bientôt trente ans.
L’ensemble, entre rétrospection et introspection, fait se côtoyer les pièces pour en exacerber la chair et pointer ce qui, précisément, les motive.
De proche en proche, entre récurrences plastiques et occurrences thématiques, un fil se tisse allant de l’amour au meurtre, de la décomposition à l’abandon.
Isabelle Le Morvan
Archange
2021
Mine graphite et aquarelle sur papier Arches
27x27cm
Vue d'ensemble et détail
Souvent, les ailes d'archanges se déploient aux couleurs d'arc-en-ciel, signe de réconciliation biblique,
ailes de renaissance.
L'aile est ce qui nous manque.
Stéphane Étroit
Phœnix
2021
Mine graphite sur papier Moulin du Roy, vitrine, ventilateur, alimentation électrique
Un dessin d'oiseau mort placé en suspension
41,5x41,5 cm
115,5x48x48 cm l'ensemble
Vue d'ensemble et détail
Tirées du mot latin imago qui désignait les masques mortuaires, les images se construisent initialement sur les dernières présences des maintenant sans vie, sur des
absences imminentes des corps morts, à la toute fin, sur l'idée d'un rempart à l'absence, accompagnant celui qui reste quand l'autre part, prolongeant un semblant du vivant chez le mort pour le
vivant qui se meurt. Elles sont intrinsèquement un devenir, un pressenti du manque à venir, en étant amenées à le parer ; elles sont, en tout premier lieu, la marque de l'absence imminente, et la
trace de la présence évanescente, l'enregistrement de ce moment ultime qui bascule dans le passé et qui voit se profiler le manque physique de l'autre qui nous quitte et dont on va se séparer,
dont on prélève la figure, le visage, à jamais, ce que l'on nomme aussi ses traits.
Ritratto désigne la peinture du portrait en italien ; retirer, garder, maintenir, retenir les traits. Ainsi, l'image ne se substitue pas au réel, c'est le réel qui fuit qui la fait advenir.
L'image est un complément, une réfutation et une acceptation du définitif du départ, un deuil, une "éternisation" pourrait-on dire, un acte de conservation amené à construire un refus du fini de la condition humaine. L'image est à la fois une projection de la mort, sinon, déjà, son constat, et un maintien dans le vivant, une survivance, à l'adresse du vivant. L'image, dans son registre du souvenir, est une parade, un vestige, la résultante d'un désastre, d'une disparition, du désastre de la disparition. L'image est cette fête. Cette célébration qui cherche à donner une permanence à ce qui fuit.
Isabelle Le Morvan
Chamade
2018
Aquarelle sur papier chiffon
76x76 cm
Vue d'ensemble et détail
Battre un secret, divulguer les émois, mesurer la crise ou le courage.
Tranché, à vif, à moitié, fendu, brisé, indécent.
En deux.
Il y a quelque chose de répugnant à consommer un cœur.
Sans doute les contes, sans doute les romans…
Stéphane Étroit
Sonate
2017
Mine graphite sur papier Wenzhou, néon, alimentation électrique
Deux dessins superposés
30,9x31,5x5,5 cm l'ensemble
Vue d'ensemble et détail
Trois pièces : deux dessins, un néon.
Trois éléments : deux cœurs, une lumière.
Trois mouvements : deux histoires, une superposition.
Isabelle Le Morvan
Sans titre
1993
Aquarelle sur papier Arches
70x73 cm (hors-cadre)
Vue d'ensemble et détail
Courbet l'ensemenceur, et L'origine du Monde, maintes fois citée, énième proposition ici qui questionne la filiation artistique, seuls le cadrage et le point de vue diffèrent.
Du cœur de la chair à la profondeur de la peinture, les enjeux sont les mêmes : activer la pulsion scopique, travailler le spectateur dans la frontalité de son origine.
Stéphane Étroit
Revestuaire
2019
Mine graphite sur papier Hahnemühle, cadre, bougeoir, cierge, support étagère
30x30 cm (dessin hors-cadre)
52x33x19 cm l'ensemble
Vues d'ensemble et détail
Une image pornographique glanée sur le Net. Une reprise au trait placée dans l'ombre. Une incise, délicate dans le blanc granuleux du papier, à la lueur d'une bougie, vacille.
L'après-histoire ou l'altérité montée en cérémonie.
Sans rien inventer du motif, l'on passe du dessin d'observation à l'observation du dessin, à son désir, à son projet, à sa montée, à sa jouissance, à son jaillissement, à son épanouissement, à sa défloraison, à son épuisement, à sa détumescence.
Ravissement, la pornographie n'est plus l'image représentée. Il n'y a que cette entrée où l'un t'imitait.
Contact,
Isabelle Le Morvan
Estran
2017
Pigments sur papier Fabriano
1000x140 cm
Vue d'ensemble et détails
L’estran est cette espèce d'espace qui varie dans le jeu des marées : surface découverte entre le point haut de la mer sur la grève et le point le plus bas dans le retrait des vagues.
C'est le lieu du dépôt des galets, violemment roulés par le fracas de l'eau, des coquilles et carapaces usées jusqu'au lustre, des déchets parfois transformés en fortunes de mer. C'est le lieu des rencontres fortuites entre le légitime et l'improbable.
Un galet, ramassé jadis dans les balades côtières, sert d'outil. Trempé dans les pigments purs, il joue le flux et le reflux dans son déplacement sur la page, le dessin émerge de ces innombrables passages qui trament le rouge.
Le rouge raconte.
Stéphane Étroit
L’Étal
2016
Mine graphite sur papier Fabriano, métal, bois
3 dessins sur console
190x190x30 cm l’ensemble
Vue d'ensemble et détails
Que je me serve des divers fruits et légumes, des lièvres ou autres bestiaux morts glanés deci delà sur les tables toutes dressées des natures mortes de peintres renommés des XVIIème et XVIIIème siècles chez qui je me suis invité, ça ne sentait que les parfums alléchants de la peinture à l'huile : la fabrique comme une gourmandise.
Oubliées toutes les représentations, symboliques, religieuses, morales, hospitalières ou autrement érotiques, qui sont celles habituellement rattachées au genre. J'ai ôté la couleur, modifié la technique, dégagé les contextes. Il n'y a d'investissement que dans la pratique. Seul compte, dans ces emprunts, la mise à distance de l'image, le pourrissement de l'idée de l'image, même fidèle, comme la seule finalité.
Le peint quotidien.
Isabelle Le Morvan
Sacre
Série Les choses noires
2013
Mine graphite et aquarelle sur papier
25x25 cm (hors-cadre)
Vue d'ensemble et détail
Les images de l'enfance sont parfois persistantes. École primaire, planches Deyrolle, préhistoire. Le crâne de L'homme de la Chapelle-aux-Saints : homme Neandertal dit Le vieillard, parmi les premiers sans doute à avoir connu une sépulture.
Le sacré se met en scène.
Beauté effarée de cet os ouvert sur le sommet du crâne, trou, béance ou manque, l'imagerie convoque l'imaginaire.
Noir. Le traitement de l'os, vanité des vanités.
Stéphane Étroit
Massacre
2019/2020
Mine graphite sur papier Hahnemühle
47x47 cm (hors-cadre)
Les images de l'enfance sont parfois persistantes. Kubrick, 2001 : L'Odyssée de l'espace, préhistoire. Un grand singe, parmi les premiers hominidés sans doute à user d'un fémur trouvé comme d'un outil, comme d'une arme.
La lutte, la survie, le meurtre se mettent en scène.
Violence de cet os meurtrier dressé qui, en prolongeant le bras, en équipant la main, en renforçant le poing, marque, victorieux, l'évolution de l'humanité dans un coup porté.
Blanc. L'absence du verbe. L'emploi de l'os, solitude des solitudes.
Isabelle Le Morvan
Fanée
1993
Aquarelle sur papier Arches
69x69cm
Vue d'ensemble et détail
Une femme, vieille, peau lâchant prise, rides empilées comme autant de crevasses, de paysages ravagées, motif pictural.
Stéphane Étroit
FR36-9300-3168
Série La vache morte
2014
Encre acrylique sur papier Fabriano
Dessin à la plume
122x150 cm
Vue d'ensemble et détail
FR36-9300-3168 est le numéro de traçage relevé sur la boucle d'oreille d'une vache morte initialement photographiée aux abords d'une ferme creusoise, posée au sol, comme endormie, entre les passages des services vétérinaires et ceux de l'équarrissage.
Une image juste avant l'enlèvement, le dépeçage, la disparition.
Isabelle Le Morvan & Stéphane Étroit
La possibilité d'un fil
2021
Branches de châtaignier, lin, câble métallique
Dimensions variables
Détail
Suspendues, presque en contact.
Branches embrassées, en quête.
De la nature à sa préservation, la décomposition s'évite.
Isabelle Le Morvan
Fin de saison
2015
Mine graphite sur papier Arches
6x6 cm chaque élément (hors-cadre)
En février au jardin, seuls les porte-graines marquent le cycle du végétal.
Samares, akènes, gangues, cenelles, dessinent dans leurs déhiscences les semences à venir.
Quelques peu flétris, souvent sombres, ils laissent les graines choir au sol dans l'attente d'un renouveau ; on les appelle parfois des momies.
Format 6x6 cm, ils inscrivent le regard dans la tradition photographique avec le supplément du trait, qui cherche dans la miniature, la sensibilité d'un monde de jardinier, celui qui regarde et qui contemple jusqu'aux interstices, celui qui a courbé la main pour semer.
Stéphane Étroit
Éden
2016
Mine graphite et moisissures alimentaires sur papier Hahnemühle
19x19 cm (hors-cadre)
Après l'écriture du texte accompagnant l'exposition de la pièce Delicatessen, en 2016, j'entamais une série de dessins de pommes en déposant des petites quantités de restes alimentaires à la surface des papiers.
Chaque jour, j'observais sur les dessins la moisissure à l'œuvre et une certaine impossibilité du propos tenu alors (le pourrissement de l'idée de l'image comme seule finalité...), son développement blanchâtre, tout de filaments délicatement ramassés en mousses accompagnées de moucherons voletant alentour conviant d'autres images à la surface.
Gâté !
Isabelle Le Morvan
Titane
2013
Graphite, blanc de titane et gris de Davy sur papier Arches
Diptyque
153,5x100 cm chaque élément
Vue d'ensemble et détail
Pierre blanche, celle qui marque l'espace par l'évènement, celle qui précise une roche pour éviter le naufrage, celle enfin qui permet de trouver son chemin.
Pierre levée pour défier le ciel et éviter le fracas.
Stèle, borne ou croisée des chemins, repère ou mémoire.
Pierre, la première ou la dernière.
Stéphane Étroit
Promenades
Série Boulimie
2013...
Encre acrylique sur papier aquarelle, médium
25X25 cm chaque élément
165x165 cm l'ensemble
36 dessins d’excréments canins sur une série inachevée de 100
Vue d'ensemble et détails
Une merde est un aboutissement. Le terme d'une digestion et un abandon. La chose épuisée, dépulpée, débarrassée de ses éléments nutritifs. Un rejet. La fin et la marque d'un trajet utile et vital.
Il en est sans doute ainsi de toutes les réalisations plastiques.
À disséquer une merde, on y puise, on y détecte la faim, l'appétence. Toutes les œuvres véritables sont ainsi des merdes : les restes d'une nourriture dont les
artistes se sont repus.
Stéphane Étroit
Reste
2015
Mine graphite sur papier Moulin du Roy
44,3x44,3 cm (hors-cadre)
Vue d'ensemble
Le texte d'un livre dont j'ignore le contenu s'efface par la fin. J'essaie de le lire le plus rapidement possible, je tourne avidement les pages, tout en continuant d'observer le bas de celle consultée disparaître irrémédiablement.
Je me réveille hébété. Je note ce qu'il reste de cette lecture.
Rien quant à sa teneur. Seul l'acte.
Isabelle Le Morvan
Restes
Série Les choses noires
2013
Mine graphite et aquarelle sur papier Arches
30x30 cm
Vue d'ensemble et détail
Marcher en forêt comme dans le dernier espace de vie. Lumière qui se faufile, majesté des arbres, présence discrète des oiseaux. Clairière, masse blanche, celle d'un sanglier décomposé, os nettoyés par les équarrisseurs sauvages, sculpture mortuaire dont on ne saura jamais l'histoire, restes.