La dispersion, le déroulé, la fuite, l’écoulement, l'enlèvement, l’impermanence, la disparition, l'extinction nous poussaient à opposer au fugace, des pratiques et des images comme autant de ralentissements.

Pour un temps seulement, nous nous sommes pris à rêver que tout perdurait.

Un léger coup de vent est venu balayer les branches du bouleau pleureur aux abords de l’atelier.

J’ai retenu le dessin d’une des brindilles tombées. Puis deux. Puis trois. Et cætera.

La motivation, quelques maigres traits attentifs et répétés sur les papiers, est venue tenter de parer la ténuité.

Terminaisons sans fin.

La houle résulte d’un vent engendré au lointain, c’est le souvenir des vagues qui se diffuse en ondes. Mouvement lancinant des champs de blé dans la lumière ou danse des cimes dans la forêt, la houle est un présage : l’annonce de la tempête à venir.

Langue du mélange des pourtours méditerranéens, le Sabir permettait les échanges comme autant de rencontres, parfois guerrières, parfois commerciales, peut-être amoureuses… Autres temps où les bateaux ne déversaient pas les hommes à la mer, et servaient dans les trombes à les sauver. Le fragile papier en conserve les cabosses et le naufrage potentiel, l’illusion de la conquête et les rêves d’horizon.

Les photographies quotidiennes du ciel au-dessus de ma tête se sont amplement multipliées depuis 12 ans. Prises dès que l’occasion se présente et bien que montrées dans un défilement chronologique, elles ne s’enregistrent ni exactement pour l’heure ni vraiment pour la saison ni même pour le moment et encore moins pour l’endroit, mais s’avancent en une sorte de rituel où la célébration ordinaire des jours s’énonce en un passage de cadrages monochromes ou composés de volutes blanches, grises et/ou bleutées aussitôt révolus.

Arrêter ne cesse.

La mémoire est toujours la rétroprojection d’un hiver ; un truc à l’envers, pareil à une taxidermie.

Mais nous avons appris, et chacun se souvient, sans y croire jamais tout à fait, que ce qui a été se prolonge en fantômes intérieurs et que c’est dans l’oubli, définitivement, que l’on meurt véritablement.

Les joncs balayent la dune et tentent d’en retenir encore la forme. Ils marquent le passage de l’espace maritime à la terre ferme, le dessin du territoire.

Éternelles vigies.

Perforer le papier.

Agencer des brûlures.

Rejouer les percées, distribuer les trouées.

Mordre.

À ménager la perte, les clairières odorantes se dressent pour nous remémorer.

L’écume nous raconte la violence des vagues sur la roche et la puissance du vent qui les a formées ; le blanc en légèreté qui, dans sa dentelle, annule le fracas.

Les plantes prennent parfois racine là où les vents les portent. S’insérant dans un espace inapproprié, elles sont alors considérées comme des indésirables en dépit de leur incroyable beauté sauvage.

Le verdaccio, couche légère de terre verte, déposée par les peintres pour révéler les rouges de la chair, est un composé minéral naturel, un artifice de la vraisemblance. Dilué dans l’eau, son ascension sur la page se produit par souffles successifs, par dépôts sédimentaires qui retiennent la marque de l’absorption et dessinent lentement les pâleurs réanimées.

Mettre en l’air est très souvent synonyme d’un saccage où tout se trouve irrémédiablement jeté, fichu.

Quelques marches fragiles d’un escabeau maculé.

Une échelle de gravité.

Un point de vigilance, certainement ; celui d’un peintre qui, sa vie entière, s’est appliqué, perché, à toujours replacer les tonalités colorées d’un monde trop souvent terni.

Le papier que soufflent deux ventilateurs déroule son dessin dans un redéploiement constant inscrivant sur la grève une interminable et incessante redite de la passée.

Étymologiquement, le terme Taxidermie qui date de 1846 nous vient du grec ; il renvoie à Tàxis, l’arrangement, l’ordre et à Dérma, la peau. Tàxis est ainsi le nom d'action de tassein ; il exprime l'idée de placer où il convient.

L’envers s’avère l’endroit.